POUR UN QUÉBEC DURABLE 1. LE MODÈLE QUÉBÉCOIS ET L’ENVIRONNEMENT

par Auteur invité
22 janvier 2010 Article publié dans: | Rapport à L´environnement

Les signataires de ce texte sont Karel Mayrand, Luc Bouthillier, Alain Fréchette, Corinne Gendron, Paule Halley, Manon Laporte, Laurent Lepage et Michel Montpetit

Le Québec s’est bâti sur la traite des fourrures, l’agriculture et le bois. Les Québécois sont fiers de leur passé de coureurs de bois, de défricheurs, de bûcherons et de draveurs. Encore au début du vingtième siècle, on les invitait à défricher les terres du Nord. Puis, à la faveur de notre industrialisation, le secteur minier et l’hydro-électricité se sont ajoutés. De tous temps, le Québec comme le Canada, ont été perçus comme des réservoirs infinis de ressources et notre croissance s’est appuyée sur l’exportation de matières premières dans un système de laisser-faire économique. Qui a oublié le fer que Duplessis vendait à un cent la tonne aux États-Unis !

La révolution tranquille a été l’occasion d’une modernisation de l’État et des infrastructures socioéconomiques et réglementaires, ainsi que d’une prise en main des principaux leviers économiques, en particulier dans les secteurs de la finance et des ressources naturelles. Dans les années 1980-1990, dans la foulée de la crise du travail et de la révolution des technologies de l’information, les institutions du modèle québécois ont été confrontées à de nouvelles problématiques et à de nouveaux enjeux. Pour y répondre, le modèle s’est enrichi d’une dimension sociale innovante. C’est ainsi que sont apparus de nouveaux lieux de concertation, tant sur les plans territoriaux que sectoriels, qui ont stimulé la participation et l’innovation.

Aujourd’hui, dans le contexte d’une croissance insoutenable, où l’on voit les signaux d’alarme écologiques, la mondialisation des divers enjeux socio-économiques, tels que les droits humains et la grande pauvreté, ce mode de développement nous apparaît maintenant inadapté aux défis d’un développement durable. Le modèle québécois doit de nouveau s’adapter à ces nouveaux enjeux en intégrant une nouvelle dimension, trop longtemps marginalisée : la dimension environnementale. Pour répondre aux défis du 21ième siècle, des changements s’imposent, en particulier dans les secteurs d’activités qui engendrent un déficit écologique qui hypothèque le développement et la qualité de vie des générations futures.

Stopper notre endettement écologique

On accuse souvent à tort les normes environnementales de nuire à la compétitivité des secteurs reliés aux ressources naturelles et à l’agriculture. Dans les faits, le respect des normes environnementales contribuent pour une faible part des coûts de production des industries primaires, arrivant loin derrière le taux de change, les coûts de main d’œuvre et de transport et la productivité. En dépit des préjugés, aucune norme environnementale n’a jamais provoqué de crise dans ces industries.

Ce sont plutôt la combinaison de la hausse du dollar canadien, d’une concurrence accrue et de prix de vente à la baisse qui sont en grande partie responsable des crises qui frappent présentement les industries forestières et porcines québécoises. Le modèle d’exploitation des ressources naturelles génère certes des retombées positives sur le plan de l’emploi et des revenus, mais il confine les régions à un rôle de fournisseurs de matières premières. Ce modèle creuse des écarts de revenus toujours plus grands entre les grands centres urbains et les régions ressources.

Depuis au moins trente ans, tous les gouvernements et les intervenants régionaux ont compris qu’au lieu de chercher constamment à augmenter le volume d’exportation de produits peu transformés, il vaudrait mieux investir pour s’accaparer une part plus grande de la chaîne de valeur et développer des niches dans lesquelles le Québec est susceptible de détenir des avantages comparatifs au cours de la prochaine génération. En ce sens, ils constatent que l’innovation et la diversification des activités des industries reliées aux ressources naturelles et à l’agriculture sont la clé de la richesse future du Québec.

Mais il faut malheureusement constater en grande partie l’échec de ces stratégies. Non seulement ces efforts de diversification n’ont pas donné les résultats attendus, mais il faut maintenant se demander si le cadre à l’intérieur duquel ces stratégies ont été menées ne constitue pas l’obstacle majeur, puisque au lieu de le protéger, il détruit le capital naturel dont le Québec est doté.

L’économie du Québec, particulièrement celle des régions ressources, est largement tributaire de la productivité des écosystèmes naturels. Outre les ressources minières qui sont non renouvelables, les secteurs forestier et agroalimentaire, le secteur récréo-touristique et de nombreux autres secteurs reposent sur des écosystèmes en bonne santé et un climat stable qui assurent une production constante et prévisible de biens et services importants pour notre économie.

La somme des ressources non renouvelables et de la capacité des écosystèmes de produire des ressources renouvelables constituent le capital naturel du Québec. Ce capital s’appauvrit constamment du fait de la surexploitation de certaines ressources ou de la perte de capacité productive des écosystèmes. Le Québec creuse donc un déficit écologique qui se transforme peu à peu en dette écologique qui entravera le développement des générations futures. En fait, notre mode de développement économique revient à brûler les planches de notre maison pour la chauffer.

Un problème fondamental de notre mode d’exploitation des ressources naturelles est qu’il ne récolte généralement qu’un seul produit ou service issu des écosystèmes sans suffisamment tenir compte de leur capacité productive d’ensemble. C’est le cas par exemple de l’industrie forestière qui se concentre encore trop sur la matière ligneuse au détriment de la diversité biologique et génétique et des autres services écologiques inter reliés à l’intérieur d’un même écosystème. Le résultat net est une perte de capital naturel pour les générations futures et un appauvrissement de notre patrimoine naturel.

Un autre problème est que notre mode d’exploitation des ressources naturelles ne tient pas suffisamment compte de la capacité de renouvellement ou d’absorption des écosystèmes. Ainsi, la concentration industrielle des activités de production ou d’extraction dans des écosystèmes qui ne sont pas capables de s’adapter à cette pression accrue affecte leur santé et leur capacité productive. Ce phénomène est accentué par le fait que l’on produise aujourd’hui à des échelles décuplées pour répondre à une demande mondiale.

Un bon exemple de ce phénomène est la croissance de l’industrie porcine qui a mené à des problématiques de surplus de lisiers dans les écosystèmes de la vallée du Saint-Laurent. Il y a aujourd’hui 7.5 millions de porcs au Québec, soit autant que de Québécois, et 63 % de la production est exportée à l’extérieur du Québec. Les problématiques environnementales et conflits locaux qui ont marqué la croissance de cette industrie ont mis en relief la difficulté de produire à ces échelles tout en conservant un équilibre social et environnemental. Le désastre de la rupture des stocks de l’industrie de la pêche est encore plus éloquent.

Bien sûr les industries forestières, minières et agroalimentaires ont fait des progrès environnementaux considérables depuis deux générations. Mais alors que les pratiques s’améliorent, les écosystèmes continuent de se dégrader, parfois de manière irréversible. C’est pourquoi le Québec continue de creuser son déficit et sa dette écologique. Et ce déficit commence déjà à générer des incidences financières puisque les forêts québécoises qui sont mal en point coûteront plus à l’État en 2006 qu’elles ne rapporteront en dividende.

Cette situation résulte d’une approche générale de l’industrie et des réglementations gouvernementales qui tente d’atténuer les impacts environnementaux de l’exploitation des ressources naturelles en aval plutôt que de les prévenir en amont. Une approche axée sur la prévention des impacts négatifs sur l’environnement passe plutôt par la prise en compte (soit ‘l’internalisation’) des coûts environnementaux directs et indirects liés à l’activité humaine. En un mot : les coûts de production des biens et des services devraient refléter leurs coûts environnementaux.

Ceci implique que l’on puisse établir la valeur des biens et services produits par les écosystèmes et que les citoyens, entreprises et institutions qui en tirent bénéfice ou qui les affectent négativement paient les coûts liés à leur utilisation ou à leur dégradation, de même qu’à leur restauration. Bref, il faut appliquer les principes d’utilisateur-payeur et de pollueur-payeur. À l’heure actuelle tous ont un accès à coût très faible et à grande échelle aux écosystèmes et les coûts de la pollution ne sont assumés ni par les producteurs ni par les consommateurs. Ils sont plutôt assumés par la collectivité dans son ensemble à travers l’État lorsqu’il intervient ou alors relégués aux générations futures. Rien d’étonnant alors à ce que nos écosystèmes soient constamment surexploités ou endommagés.

Or, un des constats les plus troublants, illustré de belle façon par les débats ayant entouré la Commission Coulombe sur l’avenir de la Forêt québécoise, est que le Québec ne dispose pas des moyens pour mesurer avec précision son capital naturel, c’est-à-dire la somme des biens et services que les écosystèmes fournissent à notre économie. Nous ne disposons pas non plus des outils permettant d’en établir la valeur socio-économique et environnementale. Cette situation est troublante lorsque l’on réalise l’importance de ce capital pour les générations présentes et futures. À cet égard, l’absence d’outils et d’activités systématiques d’évaluation est manifeste dans le secteur des politiques, programmes et législations.

Notre incapacité à mesurer l’état de notre capital naturel et les impacts des changements climatiques n’est pas surprenante lorsque l’on regarde les ressources que le Québec consacre aux ministères qui gèrent ce capital. Le budget du Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec ne représente que 0,3 % des dépenses de programmes du Gouvernement québécois. Si on ajoute le Ministère des ressources naturelles et de la Faune et le ministère l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation, on n’atteint que 2,5 % des dépenses de programmes de l’État québécois ou un peu plus de 1,2 milliards de dollars.

Les ressources consacrées à la mission environnementale de l’État québécois ne permettent donc pas de mesurer notre capital naturel, de le protéger et encore moins d’accompagner une économie moderne dans la transition vers un développement durable. Doit-on s’étonner alors que le Québec voit sa dette écologique augmenter sans même qu’on puisse la mesurer ?

(À suivre : Moderniser notre régime de protection de l’environnement)

On trouve la version complète du document sur le site du http://www.unisfera.org/IMG/pdf/Man... Manifeste pour un Québec durable




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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.

 


Agenda

 

Editorial

L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.



 



 

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