RÉPONSE À BHL

par Auteur invité
6 août 2010 Article publié dans: | Délibération publique

Dans la foulée des élections européennes, qui a vu le Parti socialiste subir une défaite sévère, le débat a repris de plus belle sur l’avenir du PS en France. Nous reproduisons ici la réponse d’Henri Weber à une analyse de Bernard-Henri Lévy. Nous la reproduisons parce que l’appel de M. Weber à une troisième refondation de la social-démocratie européenne rejoint notre effort de renouvellement de la social-démocratie.

L’auteur invité est Henri Weber – Député européen du PSE – Secrétaire national-adjoint à la Mondialisation du Parti socialiste

Comme on pouvait s’y attendre, la lourde défaite du Parti socialiste aux élections européennes a suscité en son sein, après un court délai de décence, un déchainement de critiques contre Martine Aubry, tandis que dans les médias retentissaient à nouveau les oraisons funèbres de la social-démocratie. « Le PS se meurt, le PS est mort », s’exclame, comme en 1993, comme en 2002, un chœur bigarré de fossoyeurs trop pressés. « Le PS est dans la situation du PC à la fin de années 70 » diagnostique le docteur BHL.

Reprenant la vieille idée fixe de Jean-François Kahn , l’ex-nouveau philosophe invite le PS à se dissoudre. « Il doit disparaître au plus vite » clame-t-il dans le JDD du 19 juillet. Disparaître, riche idée ! Mais pour mettre quoi à la place ?

Jean-François Kahn proposait le MoDem, de François Bayrou. BHL, quant à lui, se dispensant de toute réponse. « La dialectique y pourvoira », écrit-il dans le JDD du 19 juillet 2009. La dialectique a bon dos, elle ne pourvoira à rien. Il est facile de rayer d’un trait de plume un parti séculaire, profondément enraciné dans l’histoire et dans la société française et sans lequel il n’y a pas d’alternance possible dans notre pays. Il est très difficile de construire un parti équivalent, les Verts en savent quelque chose. C’est un travail de Titan, qui exige des décennies. Dissoudre le PS n’arrangerait que ses adversaires de droite, qui disposeraient dès lors d’une longue rente de situation dans l’occupation du pouvoir.

L’assimilation entre la crise d’agonie dans laquelle est entré le PCF à la fin des années 1970 et la crise de refondation que connait la social-démocratie européenne est grotesque. Les partis communistes ont sombré avec la disparition de l’URSS et du marxisme soviétique auxquels ils s’étaient identifiés. Ceux d’entre eux, tel le PC italien, qui ont su prendre à temps leurs distances et se rallier à la social-démocratie ont survécu. Ce naufrage n’a pas affecté la sociale démocratie. En atteste la vague rose des années 1996-1997, qui porta au pouvoir 13 partis socialistes sur 15 en Europe. Le socialisme démocratique s’est constitué à la fois contre le libéralisme économique -l’utopie délétère de la société de marché ; et contre le totalitarisme léniniste- l’utopie meurtrière de la société parfaite.

Les partis socialistes et sociaux-démocrates connaissent non pas une crise d’agonie, mais une crise de refondation, comme ils en ont déjà subi et surmonté plusieurs dans leur longue et tumultueuse histoire.

Ces partis avaient appris à maîtriser et à civiliser, au siècle dernier, un capitalisme national et industriel. Ils sont confrontés aujourd’hui à un capitalisme mondialisé et dominé par la finance. A une société fragmentée et vieillissante aussi, travaillée par un individualisme désormais désagrégateur. Les politiques publiques et les moyens d’action qu’ils avaient mis en œuvre pendant un demi-siècle sont désormais de moins en moins efficaces. Voilà la raison profonde de la crise de la social-démocratie européenne. S’y ajoute, en France, -circonstance considérablement aggravante !-, une crise de leadership qui perdure depuis 2002.

Ces partis seront-ils capables de se donner les moyens théoriques, programmatiques, institutionnels de domestiquer et d’humaniser le nouveau capitalisme, comme ils ont su le faire en XXème siècle pour l’ancien ? De la réponse à cette question dépend leur avenir. Si elle est négative, comme le pensent (et l’espèrent) leurs adversaires et nombre de leurs prétendus amis, ces partis sont voués à un lent dépérissement, à l’instar, en France, de feu le Parti radical. Mais on ne détruit que ce que l’on remplace. Ni les Verts, ni le PCF, ni le PG, ni les trotskystes, ne sont en mesure de se substituer, au PS, dans un avenir prévisible, comme principale force d’alternance et d’alternative.

Si, au contraire, la réponse est positive, comme je le crois, ces partis retrouveront un nouveau souffle. Ce qui rend les partis mortels, c’est leur inaptitude à s’adapter aux nouvelles conditions historiques de leur action, dans la fidélité à leurs valeurs et aux grands objectifs qui les incarnent. Les partis socialistes disposent de suffisamment de ressources humaines et de pragmatisme pour savoir rebondir. C’est le secret de leur longévité : le benjamin de la famille -le PS français- a 105 ans, le vétéran -le SPD allemand, plus de 130 !

Tous les partis socialistes d’Europe sont à la recherche de nouvelles voies. L’échec de la « troisième voie » blairiste exige de réorienter, mais non d’interrompre leurs efforts. Il ne faut pas liquider le PS, mais le refonder : rénover ses idées, son projet, son programme, son organisation, ses pratiques. C’est à cela que s’est attelée courageusement Martine Aubry. C’est pour cela que nous la soutenons.

Que nous recommande, pour sa part, BHL pour régénérer la gauche ? « De renouer avec l’essentiel », répond-il dans le JDD, c’est-à-dire avec « trois grands refus : l’antifascisme, l’anticolonialisme, l’anti totalitarisme. »

On croit rêver !

Le monde subit la crise économique, sociale, écologique la plus grave que le capitalisme ait connu depuis 1929, le chômage et le travail précaire explosent, le réchauffement climatique approche un point de non retour, et BHL nous exhorte à renouer avec l’antifascisme, l’anti colonialisme, l’anti totalitarisme !

Plutôt que de renouer des liens qui ne sont pas rompus, efforçons-nous de répondre aux préoccupations et aux aspirations des Français plongés dans la tourmente, et, en particulier, à celles des classes populaires et des classes moyennes.

Les partis socialistes doivent d’abord préciser et populariser leur stratégie de sortie de crise : Plan de relance, bouclier social, économie verte. Ils doivent élaborer une réforme en profondeur de l’économie et de la société internationales pour que pareil désastre ne se reproduise plus. Ils doivent parachever la synthèse entre la doctrine social-démocrate et l’apport de l’écologie politique, du féminisme, de l’individualisme culturel. Ils doivent promouvoir un nouvel internationalisme, car aucun des nouveaux défis qui nous assaillent n’a de solution au niveau national. Ce nouvel internationalisme s’incarne d’abord dans la relance et la réorientation de la construction européenne. Faire de l’Europe la première démocratie économique, écologique et sociale du monde, creuset d’une nouvelle Renaissance et levier d’une autre mondialisation : voilà l’utopie réaliste que les socialistes européens proposent à leurs peuples.

Cette Europe volontaire sera nécessairement une Europe différenciée : les Etats qui veulent aller plus loin et plus vite pour mettre en œuvre des politiques communes doivent pouvoir le faire.

Ainsi réorientée, l’Union européenne pourra jouer un rôle primordial dans l’amélioration de la gouvernance mondiale et l’institution d’une nouvelle régulation du capitalisme. Les éléments du nouveau programme socialiste sont en gestation depuis dix ans. Ils ont pour nom : l’Etat social préventif, la sécurisation des parcours professionnels, l’économie verte, la transition vers la société de la Connaissance, la démocratie sociale et participative, l’accès de tous à l’Education et à la Culture, l’Europe-puissance, la mondialisation maîtrisée et solidaire…

Trois refondations

Ce qui me rend optimiste, malgré la dureté des temps, sur les capacités de rebond des partis socialistes, c’est l’histoire de leur mouvement. Celle-ci permet de déceler au moins trois refondations :

* Les partis socialistes étaient initialement des partis ouvriers révolutionnaires, regroupés au sein de la IIème Internationale marxiste. Ils ont connu une première refondation dans les années 20 et 30 du siècle dernier, en réalisant la synthèse entre le libéralisme politique, le mouvement démocratique et la critique socialiste du capitalisme. Ils ont alors renoncé au recours à la violence, fût-elle de masse, comme méthode de conquête du pouvoir et se sont ralliés à l’Etat de droit et au Parlementarisme, au prix de la scission communiste. Obtempérant à l’exhortation du grand Bernstein, ils ont osé paraître ce qu’ils étaient : des grands partis démocratiques de réforme sociale.

* Ils ont connu une seconde refondation, dans les années 50 et 60, mais dans les années 30 pour les Scandinaves, en rompant avec le collectivisme et en se ralliant à l’économie sociale de marché. Ils ont admis que, sous certaines conditions, les forces du marché et de la libre entreprise pouvaient être mises au service du progrès économique, social, culturel, démocratique. Ces conditions sont l’existence d’un Etat démocratique avancé et celle d’une organisation puissante du mouvement ouvrier, politique, associatif et syndical. Les partis socialistes sont alors devenus des grands partis populaires de gouvernement, exerçant régulièrement le pouvoir. Ils ont cessé d’être des partis de classe pour devenir des « partis du peuple tout entier », agissant sur la société au moyen de l’appareil d’Etat.

* Ces partis sont engagés aujourd’hui dans une troisième refondation. Confrontés à la mondialisation capitaliste, ils doivent se constituer eux-mêmes en force transnationale, soucieuse de représenter et de défendre les intérêts et les aspirations des salariés européens, par delà leurs appartenances nationales. Ils doivent élaborer un programme, une stratégie une organisation, d’emblée à l’échelle continentale. L’adoption d’un programme social européen les 7 et 8 décembre 2006 à Porto , constitue un premier pas dans ce sens. Celle du Manifesto, adopté le 1er décembre 2008 à Madrid, à l’occasion de l’élection européenne, en représente un second. Mais, dans ce domaine, l’essentiel reste à faire.

Confrontés au réchauffement climatique, à l’épuisement progressif des énergies fossiles, aux pollutions de l’eau, des terres, de l’air, à la déforestation et à l’appauvrissement de la biodiversité, les socialistes doivent intégrer à leur corps de doctrine et à leur programme l’apport de l’écologie politique. Ils doivent devenir des partis éco-socialistes réalisant la synthèse entre la sensibilité sociale de la social-démocratie et les préoccupations environnementales des écologistes.

Confrontés au nouvel âge de la démocratie dans lequel nous sommes entrés : démocratie médiatique et sondagière, mais aussi individualiste, sceptique et hyper marchande, les partis socialistes doivent transformer leur mode d’organisation et leur méthode d’action. Plus éduqués, mieux informés, les citoyens modernes ne sont plus disposés à donner carte blanche à leurs représentants pendant 5 ans. Ils aspirent à être davantage impliqués, associés aux décisions qui les concernent. La gauche a beaucoup œuvré, au siècle dernier, pour promouvoir la démocratie sociale. Elle doit instituer désormais la démocratie participative.

La social-démocratie européenne, et en son sein le Parti socialiste français, sauront mener à bien cette troisième refondation. Ils en ont les ressources et la volonté. Tout le reste n’est qu’affaire de temps, car les causes de la crise de la social-démocratie contemporaine sont plus faciles à énoncer qu’à surmonter, les réponses plus faciles à exposer qu’à mettre en œuvre.

Raison de plus pour ne pas perdre de temps.

Ce texte provient du blogue du Parti socialiste français




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La réflexion sur le renouvellement de la social-démocratie sera portée dans le cadre d’une aventure intellectuelle originale. Un consortium de recherche va se concerter pour conduire durant toute l’année des travaux qui prendront en charge l’un ou l’autre des grands questionnement soulevés par le texte de référence lancé par Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Co-responsables, sous la coordination de l’Institut de recherche en économie contemporaine (Robert Laplante), de la mise en œuvre d’une programmation de travail qui fera une large place aux échanges et aux débats entre chercheurs et acteurs de la société civile, les membres et participants de ce consortium de recherche seront appelés à faire paraître sur le site Internet des textes faisant état de l’avancement de la réflexion. Divers événements vont ponctuer le parcours qui devrait déboucher sur un grand rendez-vous public à l’automne 2010. Le consortium est formé des membres suivants : le CÉRIUM (Pascale Dufour), la Chaire du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Joseph-Yvon Thériault, titulaire), l’Observatoire de l’Administration publique ( Louis Côté, directeur), les Éditions Vie Économique (Gilles Bourque, coordonnateur) et de deux équipes de partenaires, dont l’une réunie autour de Denise Proulx, de GaïaPresse, et Lucie Sauvé, de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative en environnement, et l’autre rassemblée autour de Christian Jetté de l’Université de Montréal et Lucie Dumais de l’UQAM.

 


Agenda

 

Editorial

L’importance, pour ne pas dire l’urgence d’organiser la réflexion collective sur l’état de notre démocratie et l’avenir de notre société devrait nous interpeller puissamment. Il se présente en effet des moments qu’il faut saisir dans l’histoire des peuples quand les vieux modèles, épuisés, atteignent leurs limites et conduisent à de nouvelles impasses. Le Québec est rendu à l’un de ses moments.



 



 

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